Inauguré au mois d’avril dernier avec une rétrospective de l’artiste Gérard Rancinan, le nouvel espace d’exposition de la fondation Montresso accueille actuellement l’exposition XXL#1, réalisée en partenariat avec la galerie David Pluskwa. À travers des toiles grand format, une sculpture et deux installations, Cédrix Crespel, Fenx, Tilt et Jonone se confrontent à la monumentalité et présentent des œuvres pour la plupart issues de Jardin Rouge, la résidence artistique de la fondation Montresso installée depuis près de dix ans aux portes de Marrakech.
Dès le hall d’entrée du bâtiment, une imposante toile de Cédrix Crespel donne le ton : sa muse dynamique et colorée s’offre sur toute la hauteur de l’édifice et impose que l’on lève les yeux pour l’admirer. Dans cet espace de béton brut aux allures de musée, les quatre artistes ont créé une scénographie narrative, plongeant le spectateur dans leurs univers respectifs. Une exposition générationnelle aux frontières de la figuration, de l’écriture et de l’abstraction.
Cédrix Crespel
Issu de l’univers de l’architecture et du design, Cédrix Crespel peint sur toile des muses colorées à la féminité assumée. Son graphisme précis et dynamique découle directement de l’outil numérique, qui faisait partie intégrante de son processus de création avant que l’artiste ne troque la souris contre le pinceau et la peinture à l’huile.
« Quand j’ai commencé à peindre sur toile, il y a une vingtaine d’années, j’ai cherché la technique qui me correspondait le mieux. Pour cela, j’ai retenu des adjectifs dans lesquels je me reconnais, auxquels j’ai associé des qualités propres afin de définir un vocabulaire graphique personnel. Ainsi, la spontanéité induit un aspect explosif, une peinture rapide et des couleurs vives et contrastées. La franchise se traduit par des aplats. La précision renvoie à la finesse d’exécution, la propreté et la rigueur à laquelle je me soumets. Quant à l’esthétique numérique qui se dégage de mes œuvres, elle évoque l’aspect générationnel de ma peinture. »
Voilà plus de deux ans que Cédrix Crespel enchaîne les allers-retours à Jardin Rouge. Dans ce laboratoire d’expérimentation où tout est permis, l’artiste flirte avec l’abstraction tout en conservant la représentation d’une féminité assumée, épanouie, moderne et puissante. De plus en plus, l’image de la femme est brouillée, au profit de formes jaillissantes faussement aléatoires. Des œuvres présentées ici en série, sous un nom évocateur : Sexual Abstract.
« Pour mieux occuper l’espace et lier mes œuvres entre elles, j’ai réalisé une installation en écho aux couleurs et aux formes que j’utilise sur toile. Voyant mes camarades travailler des volumes verticaux en bois, en plâtre ou en métal, j’ai choisi de travailler horizontalement avec un matériau qui correspond à mon univers. J’ai ainsi revisité le côté Porn Cheap du mythe de la peau de bête avec ce tapis géant qui suggère la trace d’un débat amoureux. Des formes souples et abstraites qui invitent au déplacement et amorcent le passage à l’abstraction développé plus loin par Tilt et Jonone. »
Fenx
Poursuivant l’exploration d’une féminité forte et conquérante, les œuvres de Fenx font suite à celles de Cédrix Crespel. Après avoir fait ses armes sur les voies ferrées de la banlieue parisienne durant les années 90, Fenx s’est peu à peu tourné vers un travail d’atelier où la femme, guerrière, émancipée, se mêle aux écritures nerveuses et spontanées issues de l’univers du graffiti. Avec un rendu quasi vectoriel, Fenx rend hommage à ces combattantes contemporaines dans des tableaux parfaitement exécutés.
« À Jardin Rouge, j’ai amorcé une série en hommage aux femmes africaines. Par l’univers de la boxe, je représente la dureté de la condition féminine à travers le monde. Ces femmes se battent avec la vie, elles sont dignes et imposantes. Le format des toiles renforce cette idée, on se sent petit devant ces femmes qui nous dominent. Cette exposition représente le début d’une nouvelle série que je vais développer à Jardin Rouge, avec des couleurs plus flashy, fluorescentes et contrastées, créant une sorte d’uppercut visuel. »
« Cette résidence me permet également d’explorer la sculpture. J’avais déjà eu l’occasion d’y créer des volumes en plexiglas. Cette fois, j’ai pu expérimenter le métal avec une sculpture de 2,50 mètres de haut. Ce matériau offre différentes possibilités, poncé, poli ou rouillé, il renforce ce côté solide et fort que je confère à mes sujets. En y ajoutant juste une petite touche de couleur, je garde ce rendu minimaliste et reste fidèle à mes peintures sur toile. »
Tilt
Voilà quelques temps que l’artiste toulousain opère un tournant décisif dans son travail, abandonnant ses bubbles letters connues de tous au profit d’une représentation d’un graffiti brut basé sur le détail et la matière. Dans la continuité de la série Back to Boring où il illustrait différentes formes de graffiti soumises à l’effacement et de la série BA13 qui présentait des extraits de murs graffités, Tilt poursuit ici l’exploration du bombing par le détail, zoomant de plus en plus dans son sujet pour en extraire le maximum d’informations graphiques.
« Cette série intitulée Layers représente les couches de différents murs réunis sur une toile, comme des papiers déchirés. Cela fait quelques temps que je m’attelle à représenter le graffiti de rue, dans son côté vandale, brut et spontané. Cet aspect rébarbatif du graffiti, je l’emmène vers l’abstraction par une vision macroscopique. C’est un challenge pour moi de représenter par la peinture les différents outils du graffiti et la façon dont ils interagissent avec la matière. Je travaille à partir de photographies ou de chutes de mes précédents travaux et je cherche la meilleure manière de reproduire cette esthétique par la peinture. Cela passe par beaucoup d’essais, d’expérimentations et la création de nouveaux outils pour y parvenir. Le but étant d’obtenir une peinture abstraite où les gens qui ne sont pas familiers avec notre culture ne font pas forcément le lien avec ce graffiti basique, dur et radical, représenté ici en grand format. »
« Parallèlement aux différentes toiles exposées ici, j’ai réalisé une installation dans la continuité de la Panic Room (une pièce coupée en deux, immaculée d’un côté, vandalisée de l’autre. NDLR) et des valises, voitures et autres poubelles que je présentais sous formes de bas-reliefs. Avec toujours ce souci de représenter des extraits de rue, j’ai construit un morceau de maison détruite, abandonnée. Sur le côté extérieur, on retrouve des extraits de tags et de throw-ups tels que je les décline sur toile. À l’intérieur, j’ai tenté de reproduire cette harmonie accidentelle que l’on rencontre dans ce type d’endroits. Un mélange de ruine, de temps figé et de graffitis maladroits qui témoignent du passé du lieu. Finalement, mes toiles comme mes installations racontent la même histoire, celle du graffiti, de l’exploration urbaine et de ses différentes esthétiques. »
Jonone
Figure majeure du graffiti-art, Jonone est l’un des pionniers de l’abstraction dans l’univers du writing aux côtés d’artistes comme Futura ou Meo. Depuis son arrivée à Paris au milieu des années 80, celui qui fit ses armes sur les flancs du métro new-yorkais tient à défendre un travail d’atelier où le graffeur se mue en artiste. Pour lui, la toile est une façon de préserver la mémoire d’un mouvement éphémère par définition. À force d’acharnement et d’un incontestable talent, il est aujourd’hui l’un des artistes issus du graffiti les plus prolifiques et les plus fréquemment exposés. Si ses travaux de ces dix dernières années tournaient principalement autour du tag, de la signature et de l’énergie qui s’en dégage, Jonone revient aujourd’hui à une peinture plus abstraite, dans la veine de celles qu’il réalisait au début des années 90 dans son atelier de l’Hôpital Éphémère à Paris. Des compositions chargées, nerveuses et colorées, travaillées au sol à l’encre et à l’acrylique. Ici, il signe une toile riche, frénétique, faite de signes, de lignes, de taches et autres explosions de peintures. Un langage personnel maintes fois copié, par lequel l’artiste rend hommage depuis plus de trente ans aux graffitis de son enfance qui surgissaient dans la ville sur les métros en mouvement.
« J’ai mis dans cette toile beaucoup d’énergie et de mouvements. J’y vois comme une forêt de couleurs. Habituellement, j’occupe toute la surface de la toile mais ici, j’ai laissé une partie bleue au dessus et en dessous pour laisser respirer, pour apporter une sensation de paix. Cette composition m’est venue lors d’une promenade dans les jardins zen de Kyoto au Japon. Elle représente pour moi une page d’un carnet de voyage, la recherche de l’équilibre entre une représentation de la nature et l’abstraction. »
Rendez-vous désormais annuel, XXL présente dans un espace muséal, des travaux hors normes d’artistes triés sur le volet. Pour cette première édition, l’exposition nous plonge aux frontières du graffiti et de l’art contemporain, dans un voyage immersif qui explore les particularités et les articulations entre la figuration, l’écriture et l’abstraction. Une vision générationnelle et plurielle de la création contemporaine, emmenée par quatre artistes liés par une même volonté de tisser des liens entre leurs univers distincts.
XXL#1
Crédrix Crespel – Fenx – Tilt – Jonone
Jusqu’au 30 janvier 2017
Fondation Montresso, Marrakech
Visite sur rendez-vous les vendredis et samedis
Renseignements : info@montresso.com
www.montresso.com
Texte et photographies de Nicolas Gzeley