Craig Costello – Lasco Project #4

Après plusieurs interventions d’artistes internationaux, notamment Lek, Sowat, Mode 2, Cleon Peterson et Futura, c’est au tour du new-yorkais Craig Costello alias KR d’investir un espace périphérique du Palais de Tokyo pour cette quatrième édition du Lasco Project. Répondant à l’invitation du curateur Hugo Vitrani, l’artiste est venu signer les Arches Wilson de ses projections de peinture toutes en nuances de gris. Cinq peintures monumentales pulvérisées avec des extincteurs détournés de leur usage offrant autant de paysages abstraits et nuageux qui se figent dans un mouvement entre violence et fragilité, la technique radicale employée n’offrant pas de seconde chance.

 

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Enfant du skateboard, du punk rock, du graffiti et du hip hop des années 1980, Craig Costello a fait ses armes dans la rue sous le pseudonyme KR. Ses lettrages minimalistes pouvaient être déchiffrés de loin et de ses tags argentés tombaient de longues coulures obtenues grâce à une encre liquide qu’il élaborait lui-même. Son amour pour les tags dégoulinants est né de la nostalgie du graffiti des années 70-80 lorsque les intérieurs des rames du métro new-yorkais étaient saturés de juicy tags réalisés au marqueur. Avec le nettoyage intensif du métro dès la fin des années 80, les writers de la grosse pomme sont revenus à la rue, abandonnant les marqueurs à encre pour la bombe de peinture. Avec son encre enviée par de nombreux tagueurs, KR remit au goût du jour le tag au marqueur et les longues coulures qui vont avec. Ainsi, bien qu’il ne signe plus les rues, le style de KR reste présent dans chacun des tags posés avec son encre.

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Dans les années 1990, Craig Costello était au coeur de la scène de la côte ouest américaine. Étudiant au San Francisco Art Institute et spécialisé en photographie, il documentait en noir et blanc ses virées nocturnes pendant lesquelles il peignait illégalement avec ses complices Barry « Twist » McGee, Amaze ou Reminisce, autant de précieux témoignages d’une scène artistique alternative venue bousculer les codes classiques du graffiti. De retour à New York en 1998, Craig Costello peint de nombreux toits avec Steve « Espo » Powers tout en développant son encre désormais appelée « Krink » (pour KR Ink). D’abord vendue sous le manteau puis dans le concept store Alife, l’encre et l’esthétique coulante Krink est alors popularisée à l’international par les artistes du groupe Irak dont les membres – de Earsnot à Dash « Sacer » Snow en passant par Guess, Aaron Bondaroff ou Ryan McGinley – étaient connus comme étant les enfants terribles du Lower East Side.

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« Lorsque KR a quitté San Francisco, il faisait alors partie des writers les plus respectés de sa génération. »
(Extrait du livre The Art of Getting Over de Stephen Powers, St. Martin’s Press, 1999)

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En parallèle, Craig Costello continue de peindre dans la rue : il éradique les lettres de son tag pour en garder les coulures, comme une pluie foudroyante qu’il décline sur des portes et des boîtes aux lettres courbées, autant d’éléments de l’espace public que l’artiste envisage comme des toiles et des sculptures. Travaillant également en atelier, Craig Costello multiplie dès les années 2000 des collaborations avec des marques (BMW, Nike, Modernica, Lévi’s, Absolut, Le Standard hôtel…), il expose son travail en galerie (Owhow à Los Angeles, The Hole à New York, Galerie du Jour Agnès B. à Paris) et en institution (MoCa de Los Angeles, Museu da Imagem e do Som à Sao Paulo, Pera Museum à Istanbul…).

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« Lorsque je taguais, les coulures étaient ma signature. Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’écrire mon nom. En retirant mon tag de l’équation, je me suis intéressé plus précisément aux coulures : elles suivent librement leur chemin en fonction du vent, de l’inclinaison, de la gravité ou des différentes textures du support. C’est très organique. »
(Entretien avec Hugo Vitrani, New York, été 2014)

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Installation au MoCa de Los Angeles en 2011

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Intervention au Museu da Imagem e do Som à Sao Paulo en 2010

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Intervention à Moscou en 2009

Sur plus de 50 mètres de long et 10 de haut, Craig Costello confronte au Palais de Tokyo sa peinture cosmique avec les pierres anciennes et la nature sauvage des Arches Wilson. Les gros drippings colorés qu’on lui connaissait il y a quelques années ont désormais fait place à une peinture composée, plus minimaliste et moins spontanée.
Calme et concentré, l’artiste s’applique sur de nombreuses giclées en diagonales, cherchant constamment le bon angle, la bonne distance et surtout le bon outil, élément indissociable de son œuvre. Car s’il est établi que ses peintures en grand format sont réalisées à l’extincteur, Craig Costello n’a de cesse de tester divers embouts et différentes dilutions de peinture afin de se démarquer de tous ceux qui utilisent ses outils.

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« Avec l’usage de l’extincteur, cet outil indomptable que j’essaye de contrôler, je provoque des irruptions de couleurs et de coulures qui recouvrent radicalement l’architecture et l’environnement. La technique employée me permet de ne pas rester enfermer dans un cadre, mais de déborder sur le sol, de recouvrir pleinement l’espace dans lequel j’interviens. L’énergie de l’action se retrouve alors dans la peinture finale. »
(Entretien avec Hugo Vitrani, New York, été 2014)

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Il y a deux ans encore, les peintures de Craig Costello étaient reconnaissables au premier coup d’œil par leur code couleur : du bleu et du jaune primaire qui, se mélangeant, se muaient en vert. Ici, l’artiste cherche la nuance. Si, au premier abord, sa peinture semble être réalisée en noir et blanc, on distingue en y regardant de plus près de multiples niveaux de gris superposés les uns aux autres qui viennent illuminer les arches sombres du jardin. Lorsqu’il découvre l’œuvre de Craig Costello, c’est immédiatement à ces jeux de lumière que Jean de Loisy, président du Palais de Tokyo, fait référence en évoquant cette caractéristique de l’art Baroque du XVIIIe siècle. Dans ce jardin tout en longueur, Craig Costello invite en effet le spectateur dans une sorte de procession. Il décrit ses longues coulures claires comme autant de puits de lumière céleste desquels se dégage une sorte de brouillard, invitant le spectateur à lever les yeux au ciel.

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Texte : Hugo Vitrani et Nicolas Gzeley
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Photos Paris : Nicolas Gzeley