Isham – Techniques mixtes

Infatigable créatif, autodidacte et touche-à-tout, Isham s’illustre sur les murs du Nord de la France et au delà depuis plus de vingt ans. Comme de nombreux writers de sa génération, l’outil informatique s’est imposé à lui comme le prolongement logique de sa pratique à la bombe. Entre graffiti et graphisme, il développe également un travail d’atelier où il dépeint son univers à travers différentes séries, chacune réalisée avec une technique qui lui est propre. Rencontre…

 

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Tu as commencé à peindre des graffitis à la fin des années 80, à l’heure de l’explosion du Hip Hop en France, parle-nous de tes débuts.

J’ai commencé à peindre en 1989 dans le Nord de la France. Un ami était parti vivre en Seine-Saint-Denis et a intégré le crew TFA (The fantastic Artists) sous le nom de Creat. Il remontait de temps en temps dans le Nord et il a été ma première source d’inspiration. Nous avons ensuite formé le ATM Posse avec des tagueurs, des danseurs et des rappeurs. La proximité avec la Belgique était importante car nous étions à côté du Las Vegas Club à Mons. Cette boite de nuit était située dans une base américaine de l’OTAN, du coup nous avions les dernières nouveautés musicales américaines et donc ça attirait tous les B.Boys européens. Nous avions la chance d’habiter à côté, ça nous a vraiment apporté beaucoup à une époque où les informations sur le mouvement Hip Hop étaient plutôt rares. Pour se faire de l’argent, on allait travailler sur les chantiers à Paris, en tant qu’électricien ou manœuvre. Une grosse partie de notre salaire partait chez Ticaret ou au Marché Malik, les deux principales boutiques axées sur le Hip Hop à Paris. En ce qui concerne le graffiti, on ne faisait que taguer, les fresques étaient assez rares. On peignait exclusivement avec ce qu’on « trouvait » dans les supermarchés, des Julien Décor principalement. Comme toutes les disciplines du Hip Hop étaient présentes dans le crew, je me suis essayé au Rap. Ça a pas mal pris, on a fait des scènes surtout dans le Nord et en Belgique, à Bruxelles et Charleroi où nous avions des connections avec le crew UTK et Omix J, un DJ de Charleroi.

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Comment était la scène locale à cette époque ?

Elle était très portée sur le tag et les fresques sauvages, avec des crews comme les TSV, TRC, MCA… Les inspirations de l’époque, comme tout le monde, c’était l’ouvrage Spraycan Art, les BBC, The Chrome Angelz… Mais aussi les comics, l’Heroic Fantasy et les logos des groupes de Hard Rock. Le  » S » de Saxon par exemple a été une grosse source d’inspiration.

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Comment vis-tu le graffiti aujourd’hui ?

Je vis le graffiti aujourd’hui comme quelque chose de naturel. Ce fut un déclic, c’est devenu un prolongement. Même après de longues interruptions, ça revient, ça ne s’oublie pas. Je prends beaucoup plus de plaisir à peindre aujourd’hui car j’ai appris beaucoup de choses et je me perfectionne toujours, ça me surprend à chaque fois. Ça permet aussi de voyager, de faire des rencontres toujours enrichissantes. Le graffiti a rendu ma vie un peu plus fluide, en évacuant le stress du quotidien mais aussi en me focalisant sur des techniques… Travailler les lettres pour les rendre elles aussi fluides, pour que ça ait de l’énergie tout en restant fun.

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Comment s’est faite la transition entre le mur et la toile ?

C’était en 2005 à l’occasion de la première exposition de mon crew, le Macia. On avait un budget alors j’ai acheté cinq toiles, des grands formats. Et paradoxalement, comme je n’avais pas d’atelier, je n’ai pas utilisé de peinture mais du fusain et du brou de noix. Je ne savais pas trop quoi faire pour cette expo et j’ai eu l’idée de faire le portrait de graffiti-artists via leurs chaussures, abimées, tachées… J’ai commencé par les miennes, cette approche du graffiti sur toile a beaucoup plu et surpris les gens. Du coup, je me suis pris au jeu et j’ai continué sur le thème des sneakers avec une série que j’ai intitulé Sky’s The Limit.

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Tu as d’ailleurs réalisé une série de toiles en peignant directement avec la semelle de tes sneakers.

Les sneakers ont toujours été une passion. Cette série que j’ai appelé « Sole Painting » m’a été inspirée par ce journaliste arabe qui a balancé sa chaussure sur Georges Bush. La chaussure est devenue un symbole de révolte et cet homme, le journaliste, qui s’est mis en danger pour dire sa colère, m’a semblé représenter l’image même de l’artiste dans la société. Ça me trottait dans la tête et lors des évènements en Libye, j’ai eu envie de produire autour de ça. Un jour, en marchant sur de la peinture fraîche, la trace de ma semelle m’a rappelé la technique du woodcut, un style d’encrage fait de hachures comme sur les portraits des billets de banque. J’ai alors réalisé des portraits de dictateurs avec mes semelles, pour faire un trait d’union entre la démarche de l’artiste contestataire et ce courageux journaliste.

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Parmi les différentes séries que tu développes sur toile, il y a cet enfant qui pleure…

Le Crying Boy est une série que j’ai commencé il y a une dizaine d’année. C’est parti d’une ballade dans une braderie. Mon travail artistique fonctionne par séries, par idées… Dans le graffiti, il m’a semblé naturel de maîtriser toutes les disciplines (tag, throw-up, block-letter, wildstyle, 3D, réalisme…). Dans la peinture et mes pratiques artistiques, c’est pareil. Je choisis une technique au service de l’idée et en fonction du support.
Dans le cas des Crying Boys, je suis tombé sur une reproduction assez kitch d’un enfant qui pleure. Ça m’a tout de suite inspiré et renvoyé à ma propre enfance. J’ai ramené cette reproduction chez moi, sans savoir ce que j’allais en faire. J’ai alors eu l’idée de la détourner et d’y injecter d’autres éléments pour que cela devienne autre chose. C’est un travail sur l’appropriation, sur le détournement et sur le regard de l’artiste sur la société, sa façon de réinterpréter le quotidien afin d’ouvrir de nouvelles perspectives et une nouvelle lecture. Le fait que cela vienne d’un objet populaire trouvé dans la rue pour devenir une œuvre d’art me plaisait beaucoup. En faisant des recherches sur l’origine de cette reproduction de l’enfant qui pleure, j’ai appris qu’il y avait tout un mythe de la peinture maudite autour de ça, « La malédiction du garçon en pleurs » est en effet apparue dans les journaux britanniques en 1985 quand le quotidien The Sun a raconté comment un tableau représentant un enfant en pleurs est resté miraculeusement intact après un incendie. Après plusieurs incendies mystérieux, le seul élément non carbonisé était à chaque fois cette peinture d’un petit enfant en sanglots.

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Tu as également réalisé une série de portrait à l’échelle humaine.

C’est une série de toiles que j’ai réalisé dans le cadre de l’expo À Nous York. Mikostic, le commissaire d’exposition, m’a demandé de réfléchir à une installation sur le thème de New York. Sur le même principe que mes Crying Boys, j’ai choisi de faire le portrait de cinq figures locales (l’expo se passait à Wazemmes, un quartier populaire de Lille) et de les transposer dans un décor new-yorkais. Cinq personnages pour les cinq quartiers de New York. Ce sont des gens de tout les jours, qui ont marqué et marquent encore la vie de ce quartier lillois. Je voulais les impliquer et leur rendre hommage dans cette exposition, encore une fois pour surprendre le public et garder une base sociale et réaliste dans mon approche de l’art.

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Le graphisme semble tenir une place importante dans ta production…

Oui, je n’ai pas fait d’école de graphisme, juste une courte formation aux Beaux Arts mais c’était plus axé sur l’histoire de l’art et la démarche artistique… J’ai appris sur le tas, je me suis intéressé à différentes techniques, à la mise en page, à la typographie, à la retouche photo et à la couleur. J’ai d’abord copié et petit à petit, j’ai intégré naturellement toutes ces données avec mon background personnel. Ajoutez à cela une obsession pour l’utilisation non conventionnelle des logiciels d’infographie, un intérêt pour le cinéma, la littérature, la musique, plus particulièrement la pop culture des années 80 et aussi le Jazz et la Soul avec des labels comme Blue Note ou Chess. Ou encore l’art d’Antoni Tapiès et De Kooning… Mon inspiration vient de tout ça. J’aime la liberté de faire pleins de choses différentes tout en essayant d’apporter quelque chose d’original et de pertinent. Je suis aussi très adepte du freestyle. Je laisse une grosse part au hasard dans la création.

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À côté de cela, tu réalises également de nombreuses commandes, notamment dans le milieu du Hip Hop.

J’ai eu l’opportunité de réaliser pas mal d’affiches de concerts et de collaborer avec des artistes américains comme Michael Jackson, KRS One, EPMD, The Beatnuts, Necro, WuTang mais aussi des français comme Rocca, Big Red, Raggasonic, Assassin… Les boites de production qui organisaient les concerts ont adhéré au style-movie vintage que j’apportais pour la création des visuels d’affiches et les artistes étaient également ravis. Je crois que ma première affiche a été pour The Beatnuts et lorsque j’ai reçu les félicitations de Ju-Ju, un des deux rappeurs du groupe, j’était super fier. Il n’avait jamais eu de visuel comme ça pour un concert (dixit Ju-Ju). Dernièrement, c’est DJ Vadim et Necro qui m’ont fait un super retour sur les visuels que j’ai fait à l’occasion de leurs venues. Mais je crois que ma préférée reste l’affiche pour GZA, car Liquid Sword fait partie de mes albums favoris. Une autre grande fierté a été de réaliser la couverture de Jazz Magazine. Un numéro spécial anniversaire, 50 ans de musique noire.

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Quels sont tes projets à l’heure actuelle ?

Je travaille actuellement sur une série de posters autour de ma passion pour le Jazz qui s’appelle « Improvised Structure », ce sont des sérigraphies de très grande qualité réalisée en collaboration avec le sérigraphe Olivier Marescaux. Je réalise aussi des peintures numériques abstraites que je reproduis à la main sur papier. Cette fois, c’est de l’ordinateur au papier. Je vais également collaborer avec le label américain Grand Rapids Hip Hop pour différents projets à venir très rapidement.

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hbdistrict.tumblr.com
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Propos recueillis par Ogreoner
Photos : Isham