Après la déferlante de couleurs proposée par Julien « Seth » Malland, la galerie Itinerrance change d’univers en accueillant jusqu’au 30 mai l’artiste Shoof pour son premier solo show en France. Au-delà de la quinzaine de toiles exposée, cette exposition nous invite à pénétrer l’univers à la fois sombre et lumineux de l’artiste qui, pendant près de quatre jours, a littéralement envahi la galerie parisienne.
Mardi 5 mai, 18 heures, de nombreux amateurs de street art convergent vers la désormais célèbre galerie parisienne. Venus découvrir les dernières toiles de Shoof, la plupart connaissent déjà son travail : Des compositions abstraites et bichromiques aux accents de calligraphie, traversées de haut en bas par de longues coulures avec un effet d’usure propre à l’artiste. Quelques minutes plus tard, la porte se ferme, les lumières s’éteignent et, de l’obscurité, naît une constellation d’écritures.
Au prix d’un mal de dos dont il se remet à peine, Shoof a recouvert le plafond de ses signes abstraits qui, éclairés à la lumière noire, illuminent la galerie et le visage des visiteurs.
Encore une fois, Shoof a marié peinture, invasion et performance physique.
La Tour Paris 13
La plupart d’entre nous ont découvert Shoof il y a deux ans à la Tour Paris 13, cet immeuble de neuf étages investi par une centaine d’artistes juste avant sa destruction. Pendant plusieurs mois, il avait recouvert les trois pièces de l’appartement que Mehdi Ben Cheikh lui avait confié de ses calligraphies abstraites. Là bas, il avait exploré différentes techniques – peinture, pochoir, all-over, soustraction – et déjà, la notion d’invasion faisait partie intégrante de son travail.
« La Tour Paris 13, c’est un peu mes beaux-arts. Pendant près de trois mois, j’y ai expérimenté des choses que je n’avais pas encore eu l’occasion de travailler : La soustraction sur verre, l’utilisation du pinceau, les grandes surfaces… Et surtout, j’y ai rencontré de nombreux artistes dont je me suis nourrit et qui sont devenus mes amis. Cette expérience m’a donné une large visibilité, un regard extérieur sur mon travail et une motivation qui ne m’a pas quitté depuis. »
Djerba Hood
L’année suivante, c’est dans sa Tunisie natale que nous retrouvons Shoof dans le cadre du nouveau projet de la galerie Itinerrance : Djerba Hood. Dans le petit village d’Erriadh, une centaine d’artistes ont oeuvré pour transformer le lieu en un musée à ciel ouvert. Ici, Shoof retrouve bon nombre de ses amis, en rencontre de nouveaux et profite du lieu pour réaliser quelques collaborations avec Bom.K et Nilko. Il y peint de nombreux murs, dont un superbe bâtiment en friche où, là encore, il fait preuve d’une volonté et d’une détermination à toute épreuve.
« C’est en marge du projet Djerba Hood que j’ai réalisé ma première friche. J’avais aperçu ce bâtiment sur le chemin du retour et je suis revenu à Djerba spécialement pour ça. La friche, c’est une discipline à part entière, un travail d’atelier en extérieur. Il y a des paramètres propres à cette activité, comme l’architecture, l’usure du temps, l’économie de moyen… C’est quelque chose dont nous avons beaucoup parlé avec Legz et Reaone, deux spécialistes du genre rencontrés à la Tour Paris 13. J’ai passé presque une semaine sur ce bâtiment, les conditions étaient assez difficiles. Je n’avais pas toujours une échelle, la chaleur m’empêchait de travailler en plein jour, et la nuit je n’avais pas d’éclairage. Heureusement, pour les deux dernières sessions nocturnes, un voisin m’a permis de tirer une rallonge depuis sa maison. Au départ je voulais faire un all-over mais cela n’aurait pas rendu hommage à l’architecture du bâtiment. J’ai donc tracé des formes sur lesquelles je me suis concentré, laissant ainsi des parties totalement vierges. »
Dripping Point
Parallèlement à ses interventions in-situ, c’est en atelier que Shoof peaufine son style. Si, au premier abord, il semble s’agir de calligraphie, la clef de son travail réside dans son nom : Shoof, « regarde » en arabe.
Car l’artiste ne veut pas être lu mais contemplé.
« Je n’ai pas de formation artistique, encore moins calligraphique. Originaire de la médina tunisienne, la calligraphie arabe a longtemps fait partie de mon environnement. De la signalétique à la publicité en passant par les écritures coraniques, elle me semblait être présente partout. J’ai néanmoins le plus grand respect pour cet art et ce serait une imposture de dire que je fais de la calligraphie. Dans mon travail, il ne s’agit pas d’écriture mais d’une gestuelle qui donne à voir une image. Même s’il m’arrive parfois d’écrire des bouts de phrases, des convictions, des insultes ou des titres de chansons qui tournent en boucle dans ma tête, rapidement le geste prend le dessus et cela devient abstrait. »
Au-delà de son esthétique calligraphique, une des particularités du travail de Shoof réside dans l’envahissement des surfaces. Qu’il s’agisse d’un mur ou d’une toile, Shoof affectionne le all-over, remplissant chaque espace disponible d’un geste rapide et précis, au rythme de la musique qui ne le quitte jamais lorsqu’il peint.
« Privilégiant l’improvisation, je cherche souvent l’accident. Comme pour éviter d’imiter la calligraphie traditionnelle, j’accentue les coulures et les matières. Ces effets d’usure que j’essaie d’obtenir rappellent le côté brut de la rue. Quant aux coulures, elles prennent de plus en plus d’importance dans mon travail. Spontanées, naturelles et aléatoires, il arrive qu’elles me guident dans mes gestes. Comme la musique que j’écoute, elle me donne le tempo et transforme l’acte de peindre en une danse, parfois une transe. »
Dripping Point, du 5 au 30 mai 2015 à la galerie Itinerrance, 7bis rue René Goscinny, Paris 13.
Texte : Nicolas Gzeley
Photos Djerba : Aline Deschamps et Salma Mestiri
Photos Paris : Nicolas Gzeley