Depuis le début du mois de janvier, le quartier de Tor Marancia, situé entre le centre et le sud de Rome, voit apparaître sur le flanc de ses façades de grandes fresques colorées. Ce quartier populaire, un ancien bidonville né sur un terrain marécageux à la fin des années 20 fut reconstruit au début des années 50. Surnommé dès les années 30 « Shanghai » à cause de ses fréquentes inondations, il bénéficie depuis quelques mois d’un programme de rénovation initié par la ville.
C’est à l’occasion de ce programme de rénovation que le projet Big City Life, chapeauté par la galerie 999 Contemporary, a vu le jour. La galerie, qui avait déjà organisé la réalisation de fresques dans divers quartiers de Rome, invite ici une vingtaine d’artistes représentant huit pays différents pour investir les façades des immeubles du quartier, parmi lesquels les italiens Diamond, Klevra, Moneyless, Alberonero, l’américain Gaia, l’argentin Jaz, l’australien Reka et quatre français : Philippe Baudelocque, Seth, Lek et Sowat.
La mano di Elisabetta
Premier français à investir le quartier, Philippe Baudelocque arrive à Rome à la fin du mois de janvier. Celui dont nous avions découvert les lettrages argentés au début des années 90 le long des voies ferrées d’Ile de France a depuis une quinzaine d’années développé un étrange bestiaire noir et blanc fait de diverses formes géométriques et organiques.
S’il a longtemps joué avec la fragilité de ses œuvres en travaillant à la craie blanche, ici, dans un souci de pérennisation, c’est au pastel à l’huile qu’il compte s’inscrire dans le quartier de Tor Marancia. Avec en tête l’idée d’un projet participatif, Philippe Baudelocque a décidé de reproduire sur sa façade noire une idée qu’il avait déjà travaillé l’année précédente au Kenya.
« À Nairobi, j’avais reproduit la main d’un villageois que j’avais rempli de mes motifs cosmiques. Ici, j’ai choisi de reproduire la main d’Elisabetta, une habitante du quartier qui passait des heures à m’observer lorsque je repeignais la façade en noir. Pour moi, la main représente l’humanité, c’est un dessin simple qui renvoi aux origines de l’humanité lorsque les premiers hommes marquaient la forme de leur main sur les parois de leur grotte. Dans mon travail, la notion d’échelle est très importante, j’aime passer du grand au microscopique. Sur cette façade, on part de l’humanité pour se rapprocher d’une personne en finissant par se plonger dans l’infiniment petit. »
Six jours plus tard, la façade est terminée. Désormais, les passants seront salués par cette immense main et pourront se plonger à l’intérieur en observant ses multiples détails qui font la particularité du travail de Philippe Baudelocque.
Il Bambino Redemptor
Alors que Philippe Baudelocque s’affaire depuis quelques jours sur sa fresque, c’est au tour de Julien « Seth » Malland d’investir une façade située de l’autre côté du pâté d’immeubles. Si Seth a fait ses armes sur les murs des terrains vagues de Paris, c’est aux quatre coins du monde qu’il peint aujourd’hui ses enfants curieux et espiègles, souvent plongés dans un arc en ciel pour s’échapper de leur environnement.
Aujourd’hui, pas d’arc en ciel pour s’enfuir, mais une échelle multicolore pour découvrir un nouvel horizon.
« Durant une semaine, je me suis affairé à peindre un enfant juché sur une échelle aux couleurs d’un arc en ciel qui compose la majorité de mes productions. À l’inverse des habitants des quartiers populaires comme Tor Marancia qui cherchent généralement à voir au delà des immeubles qui les cernent, mon enfant cherche ici à observer ce qu’il se passe à l’intérieur du quartier. Convaincu que l’art est bien plus engagé que tout acte politique, j’avais fait ce dessin juste après les attentats à la rédaction de Charlie Hebdo. Il montrait un enfant cherchant à s’élever à l’aide d’une échelle qu’il avait lui-même dessiné. »
N’hésitants pas à offrir le café depuis leur fenêtre aux artistes perchés sur leur nacelle, les habitants apprécieront à coup sûr cette invitation à pénétrer Tor Marancia, trop heureux de voir leurs immeubles prendre vie et toujours prêts à tordre le coup des clichés qui pèsent sur leur cité.
Veni Vidi Vinci
Derniers français à venir marquer de leur empreinte la cité éternelle, Lek et Sowat débarquent à Rome au début du mois de février. Visitants la ville pour la première fois, ils sont venus jusqu’à Tor Marancia pour y peindre la plus grosse faute d’orthographe de l’histoire du graffiti !
Habitués à investir les ruines modernes de la banlieue parisienne et plus récemment les institutions artistiques comme le Palais de Tokyo ou le centre Georges Pompidou, le duo se démarque de ses deux compatriotes en apportant écriture et abstraction.
« Pour cette façade, nous nous sommes inspirés de la célèbre citation Veni Vidi Vici prononcée par Jules César au retour de la campagne victorieuse de Zéla en 47 avant JC. Nous voulions délivrer un message de fierté au cœur de ce quartier populaire tout en rendant hommage à l’un des peintres italiens les plus célèbres au monde : Léonard de Vinci. Sowat a alors commencé par saturer la façade de ses écritures abstraites inspirées du Cholo Writing. Au rouleau et à la bombe, il a constitué un fond noir et blanc sur lequel nous avons posé en lettres d’or notre slogan avec une typographie simple et lisible. Enfin, Lek est venu brouiller l’image avec ses formes abstraites qui constituent sa signature depuis de nombreuses années. »
Si la façade de Lek et Sowat n’est pas la plus facile à aborder pour qui n’est pas familier de l’univers du graffiti, c’est chaleureusement et avec la fierté revendiquée par cette dernière œuvre que les habitants ont accueilli cette fresque au message simple et aux détails fourmillants.
« Veni Vidi Vinci » donc, ou une autre manière de dire : je suis venu, j’ai vu, j’ai peint !
Texte : Nicolas Gzeley
Photographies : Rita Restifo – Philippe Baudelocque – Sowat
Oscar Giampaoli – Stefano Antonelli – 999 Contemporary – Sikkens