Au cœur de la gare du midi trône une imposante sculpture colorée en forme de robot vintage. Certains l’auront reconnu au premier coup d’œil : c’est l’œuvre de Boris Tellegen alias Delta. En accueillant ainsi dans l’espace public la sculpture de l’ancien writer, Bruxelles témoigne de son ouverture d’esprit et de son intérêt croissant pour les cultures urbaines.
Une volonté concrétisée par l’inauguration au mois d’avril de l’année dernière du MIMA (Millenium Iconoclast Museum of Arts). Créé à l’initiative de Michel et Florence de Launoit, Alice van den Abeele et Raphaël Cruyt, ce musée d’art actuel s’engage en faveur d’une culture décloisonnée et met à l’honneur la création contemporaine, notamment les arts urbains.
Pour sa seconde exposition, le MIMA présente la première rétrospective de l’artiste néerlandais Boris « Delta » Tellegen. Pionnier du graffiti en Europe, graphiste accompli et artiste reconnu, Boris Tellegen s’est approprié le lieu pour le transformer en une immense œuvre à visiter. Sur trois étages, il déploie en collaboration avec le curateur Daniel Hofstede une installation monumentale qui met en scène les différentes périodes de son riche parcours. Visite guidée.
Dès la première salle du musée, le ton est donné. Boris Tellegen nous invite pour mieux observer son travail, à y pénétrer. En arpenter les entrailles pour mieux le comprendre et l’apprécier, à l’instar de cette imposante sculpture qui trône au milieu de la pièce. D’un côté on peut lire le mot ego, de l’autre le mot nil. Et au milieu du N, une entrée… Mélange de chambre d’adolescent, d’atelier et de cabinet de curiosités, la sculpture renferme tout ce qui fait le parcours de Delta. Collections de jouets, de livres, de sculptures, flipper, œuvres et croquis préparatoires, on entre dans son univers en commençant par le début. Par l’enfance et le jeu. L’enfance d’un Hollandais de la classe moyenne qui découvre le graffiti au début des années 80 et qui, nourri de mangas et de robots made in Japan, va transcender le genre en y apportant le volume. Une vitrine au fond de la pièce retrace cette épopée. De ses premiers lettrages empreints de graffiti new-yorkais jusqu’aux pièces géométriques en 3D qu’il peint encore aujourd’hui sur les trains de marchandises, en passant par le standard du style européen des années 80 développé aux côtés de Bando, Shoe, Colt, Mode 2 ou Cat 22. Trente ans de graffiti sont ici résumés en une quarantaine de dessins exhumés de ses mythiques blackbooks.
À l’étage, il ne s’agit plus de graffiti, mais de l’après-graffiti. Dans les années 90, le Post-Graffiti n’est pas encore le bienvenu en galerie. Il s’exprime alors par le graphisme. À nouveau, une vitrine vient raconter cette décennie faite de travaux numériques et de collaborations avec diverses marques. On y retrouve d’anciennes publications – livres et fanzines – des t-shirts, des flyers et ses premières sculptures. On parle alors de vinyls-toys, de jouets pour adultes. La sculpture, c’est pour les artistes, les vrais.
Tout comme son collègue Shoe à la même époque, Delta joue avec l’outil informatique et réalise de nombreuses commandes, notamment dans l’industrie musicale. En témoigne l’impressionnante collection de disques dont il signe les visuels. Rapidement, le travail manuel supplante l’ordinateur. En dessin, en peinture et en collage, Delta impose un univers qui se lit par strates, qui se construit à la main, où le relief et la matière imposent un travail d’atelier plus que celui d’un logiciel. De toute évidence, le graphiste porte en ses gènes l’âme d’un artiste. Une âme qui se révèlera dès la fin de la décennie.
Au tournant du nouveau millénaire Delta devient Boris Tellegen. Un artiste plasticien dont les œuvres empreintes d’architecture et de design industriel perturbent l’espace et créent des zones de tension. Des zones de faille. Par jeux de construction, d’accumulation, de déstructuration et de superposition, Boris Tellegen joue avec l’ordre et l’aléatoire jusqu’à créer des points de rupture.
À partir de matériaux de construction bon marché, ses œuvres en forme de bas-reliefs s’ouvrent au spectateur et dévoilent leurs structures. C’est là que réside le cœur du travail de l’artiste. Ici, la scénographie judicieusement orchestrée par Boris Tellegen et Daniel Hofstede prend tout son sens. En privant le spectateur de recul et en superposant les différentes pièces, ils nous imposent d’observer les différentes couches de construction. L’œuvre de Boris Tellegen ne se lit pas de face, elle se contemple de biais. C’est sur les tranches que l’on comprend la dualité de l’artiste : construire, détruire puis reconstruire. Organiser le chaos.
Au troisième étage du musée, l’immense robot couché dans la pièce révèle les derniers travaux de Boris Tellegen. Flirtant avec l’architecture, l’artiste créé des sculptures à mi-chemin entre mobilier urbain et spot de skate. Des œuvres que l’on arpente pour les apprécier. Placées au cœur de la ville, elles font écho à l’urbanisation excessive de nos mégalopoles tout en gardant cet esprit ludique et malicieux propre à l’artiste. En témoigne le petit train de marchandise qui roule dans les entrailles du robot géant. Car Boris Tellegen sera toujours Delta, un grand enfant qui n’a jamais cessé de jouer.
Texte et photographies de Nicolas Gzeley
Boris Tellegen – A Friendly Takeover
jusqu’au 28 mai 2017
MIMA, 39-41 quai du Hainaut, 1080 Bruxelles, Belgique
Ouvert du mercredi au dimanche de 10h à 18h
www.mimamuseum.eu