Mode 2 – Préludes

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Il y a près de trente ans, pour définir le Hip Hop naissant en Europe, on parlait du Mouvement. Impulsé par les kids de Philadelphie et New York, adopté et redéfini par les adolescents du monde entier, le Mouvement était en marche. Une transe culturelle, artistique, générationnelle. Mouvement des trains qui transportent le nom des writers d’un quartier à un autre, mouvement de la peinture lorsqu’elle est pulvérisée sur la ville, mouvement de l’alphabet redessiné par une génération d’artistes en devenir ou mouvement du corps lorsque les B.Boys s’affrontent au centre d’un cercle de danseurs.
Ce mouvement, Mode 2 n’a de cesse de le peindre sur les murs des quatre coins du monde et plus récemment au coeur de son atelier berlinois. Depuis ses premiers graffitis à Londres au milieu des années 80, Mode 2 peint sa culture, son histoire, son mouvement. Figure emblématique du writing, propulsé au panthéon des writers lorsqu’en 1987, une de ses fresques fait la couverture du mythique ouvrage Spraycan Art, Mode 2 s’est imposé au fil des années comme l’un des chefs de file de la scène graffiti avec des fresques inoubliables composées de lettrages complexes et de personnages aux postures dynamiques. Graffeur, graphiste, illustrateur, peintre… Mode 2 est avant tout un artiste qui, à la bombe, au pinceau ou au crayon, évoque l’âge d’or d’une culture alors underground.
Aujourd’hui, avec son exposition « Préludes » à Paris, Mode 2 fige cet instant fugace qui précède un moment, une action, un événement. À travers une quinzaine de toiles et huit dessins, l’artiste se remémore les soirées londoniennes de son adolescence, sur les dancefloors enflammés où les corps se cherchent en rythme jusqu’à l’épuisement, puis achèvent de s’apprivoiser sous des lueurs plus intimes.

 

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Parle-nous du titre de ton exposition « préludes » et du lien qui unit tes œuvres.
Mon intention première est de faire référence à la connotation musicale du mot « préludes », aux sorties, au clubbing et à ce qui précède un moment précis. J’évoque ainsi l’excitation qui nous gagne quelques jours avant un concert, une soirée ou le soir même lorsque l’on arrive sur place, que l’on se glisse dans la file d’attente et que l’on commence à deviner la musique qui s’échappe de la salle. Cela me renvoie à l’époque où nous avions un réel intérêt pour la musique. J’ai l’habitude de comparer le DJ avec un cuisinier qui sait comment allier les bons ingrédients et qui respecte ses hôtes. Trop souvent aujourd’hui, la musique est servie et consommée comme de la mal-bouffe. Ces soirées sont sensées nous libérer du stress de la semaine passée tout en nous donnant l’énergie nécessaire pour attaquer celle qui est à venir. La première salle de la galerie fait donc référence à ces soirées musicales, aux moments qui la précède, aux premières notes, aux premiers coups de grosse caisse lorsque notre tête se met à hocher car le morceau apparaît prometteur.

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« It’s Gonna Be A Good One » Pastel et acrylique sur toile, 140x240cm

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« Syncopated Symbiosis » Pastel, acrylique et aérosol sur toile, 180x160cm

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Tes peintures sont souvent réalisées d’après tes propres photos dont la plupart ont été prises avant l’ère numérique. Elles témoignent d’une certaine époque…
Oui, une époque révolue. Lors de ces soirées par exemple, certains rituels ont quasiment disparu. Avec l’apparition des drogues « invisibles » et l’interdiction de fumer, on ne voit plus ces petits groupes qui se formaient autour d’un mec brûlant sa boulette de shit. Le développement de la photo numérique a aussi changé l’attitude de certaines personnes qui, se sentant systématiquement sous l’œil d’un objectif, font beaucoup plus attention à leur image. On a perdu en naturel, en spontanéité. J’avais toujours un appareil compact avec moi et je sentais que nous vivions des moments incroyables. Je me souviens des soirées Metalheadz au Blue Note ou plus tard Co-Op chez Plastic People à Londres. Cela se passait le dimanche soir de 21 heures à minuit dans une salle sans lumière. Du coup les gens se foutaient de la manière dont tu étais habillé. On venait pour la musique, pour danser. Dans la pénombre, les gens dansent de différentes manières sans entrer en collision. Tu sais, ce moment bizarre où la foule est en symbiose, guidée par la musique, lorsque chacun perçoit les mouvements de l’autre et que l’on obtient un mouvement collectif fluide. Si l’on pouvait transposer cela dans la vie de tous les jours, dans le métro ou dans la rue, nos journées seraient bien moins stressantes.

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« Hold’em High » & « Ces toutes premières notes » Pastel, acrylique et aérosol sur toile, 2x140x100cm

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Cette notion de mouvement, de fluidité est très présente dans ton travail.
Cela fait longtemps que je travaille autour du mouvement. Lors de l’exposition The Bridges of Graffiti à Venise en 2015, j’avais, sur trois toiles différentes, décomposé ma manière de peindre : La lumière qui tombe sur les personnages, les traits de construction et le mouvement. Light, Line et Movement. J’aimerais presque pouvoir peindre à l’aveugle, conserver juste les formes. Cela fait un moment que je veux allier la matière au mouvement. Ici, pour la première fois, j’ai utilisé de la pâte à relief pour signifier la lumière et renforcer le mouvement. C’est un truc que j’aimerais amener plus loin à l’avenir, peut être en travaillant cette pâte en ton sur ton. Les toiles et dessins présentés dans la seconde salle de l’exposition représentent une sorte d’équation, une petite symphonie de corps en interaction dans différents styles de danse : Up-Rock, Salsa, House Dancing, Freestyle…

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« Fight ? » Pastel et modeling paste sur toile, 100x140cm

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« Symbiotic Collision » Pastel et modeling paste sur toile, 160x130cm

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« Sur les quais » Pastel et modeling paste sur toile, 100x140cm

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La troisième partie de ton exposition est consacrée au lettrage. Là encore, la notion de mouvement est très présente.
Pour moi, le lettrage est intrinsèquement lié à la musique dans le sens où je le vois comme un cheminement avec un début et fin. Un pas de danse a également un début et une fin, tout comme ces lettrages réalisés en un trait. S’ils peuvent sembler illisibles pour certains, il suffit de remplir certaines parties pour voir plus clairement les lettres. Les lettrages sont une manifestation plus abstraite de cette notion de style ou de rythme et arrivent comme une suite logique après les deux premières salles de l’exposition.

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« Nom » Pastel et acrylique sur toile, 100x140cm

Le fait de tracer ces lettrages en un trait renvoie au geste et donc au tag…
Oui, d’autant plus que ces lettrages sur toile sont des versions agrandies d’esquisses réalisées au préalable sur de plus petites feuilles. Procéder ainsi me permet de conserver le mouvement du poignet typique du tag au marqueur. Il y a quelque chose de l’ordre de l’éducation dans cette démarche. Un peu comme Shoe qui, avec le Calligraffiti, remet l’écriture en avant et motive certains tagueurs à s’appliquer davantage lorsqu’ils signent. Pour le grand public, les tags ne demeurent rien de plus qu’un fléau. Avec mes one-liners, j’essaye de souligner l’aspect esthétique du tag. En suivant mon trait des yeux, celui qui n’est pas initié au writing découvre des dynamiques qui lui sont étrangères. Il se familiarise ainsi avec le flow des tags.

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« Style » « Dynamic » « Rythmic » Pastel et acrylique sur papier aquarelle, 3x50x60cm

Dans tes lettrages, l’analogie au corps humain et à la danse n’est jamais très loin.
Je relie le lettrage au corps, à la danse et à la musique. Et je compose souvent mes lettres comme des corps en mouvement. Lors d’ateliers que j’animais récemment à Dakar, je présentais le lettrage de cette manière : Nous savons tous à quoi ressemblent les lettres de l’alphabet, il s’agit maintenant de leur donner du mouvement. Lorsque nous dansons en soirée par exemple, nous n’avons pas besoin de nous regarder dans un miroir pour sentir que nous esquissons de beaux mouvements. Nous remuons avec la musique, nous la suivons de façon fluide ou saccadée, parfois même en l’anticipant. C’est cela qu’il faut appliquer au lettrage. Essayez de laisser votre poignet, votre coude ou votre épaule vous guider dans le mouvement.

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« Retour » Pastel et acrylique sur toile, 120x80cm

La dernière partie de ton exposition est quant à elle consacrée à l’érotisme.
Là encore, je fais référence aux préludes en évoquant ce qui précède le passage à l’acte. Comme pour les lettrages, je tourne et retourne les corps pour trouver les positions, les enlacements… Selon l’angle de vue, il y a parfois un parallèle entre un couple sur une piste de danse et dans l’intimité. J’y vois également un rapport à la musique. Toute cette gamme de sons liés à l’érotisme… Les vêtements qui se froissent, la respiration, certaines vibrations que l’on peut ressentir lorsque la bouche se rapproche de la nuque ou des oreilles, le bruit de frottement entre deux peaux sèches ou des parties moites, un déboutonnement, une fermeture éclair… Tous ces sons qui nourrissent l’imaginaire quant à ce qui va suivre. C’est cette musicalité corporelle que j’essaie d’évoquer à travers ces peintures.

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« Au jardin du Père Lachaise » Pastel et acrylique sur toile, 140x120cm

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« Le banc dans le parc » Pastel et acrylique sur toile, 140x120cm

Sur ces œuvres récentes, tu as mixé différents médiums comme le pastel sec, l’acrylique et la bombe de peinture.
Sur toile, je travaille principalement avec des pastels secs. Ils déposent une poudre de pigment dans la maille de lin ou de coton que je tire au pinceau avec du liant acrylique. Cela me permet d’obtenir certaines transparences parfois proches de l’aquarelle. Cela implique de travailler rapidement car le temps de séchage est assez court, du coup je me focalise sur l’essentiel. Comme je travaille parfois à partir de mes propres photos, j’ai tendance à vouloir rendre hommage aux situations représentées et d’avoir un rendu trop léché. Ça reste compliqué de savoir quand s’arrêter, de se rendre compte que l’essentiel y est. Il faut laisser l’imagination du spectateur faire une partie du chemin, lui laisser une marge d’interprétation.

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« Le nombril du monde » & « A la recherche de la forêt perdue » Pastel et acrylique sur toile, 2x120x80cm

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« Europe » & « Au sein de… » Pastel et acrylique sur toile, 2x120x80cm

Parmi ces différents médiums que tu utilises, que vient apporter la bombe de peinture ?
L’aérosol apporte des textures que ni le pastel, ni l’acrylique n’arrivent à emmener. Il s’agit de petits détails techniques réalisés au cap d’origine qui gardent cet effet « craché » et aléatoire que je trouve très beau et que l’on ne peut obtenir avec un autre outil. Tu n’as rien besoin d’autre qu’un cap d’origine et un fatcap à partir du moment où tu as un certain touché. Je pense souvent à la trompette lorsque je parle de l’utilisation de l’aérosol. La moindre pression sur le piston provoque une différence de son et c’est la même chose avec ce genre de caps.

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« Les équilibristes » Pastel et acrylique sur toile, 140x210cm

Pour cette exposition, tu as réalisé tes œuvres dans un laps de temps assez court. C’est important pour toi de travailler au dernier moment ?
Oui et je tiens à remercier Nicolas Chenus et Samantha Longhi de la galerie Openspace d’avoir bien voulu jouer le jeu car je les ai sortis de leur zone de confort en travaillant ainsi. Je n’aime pas finir les œuvres d’une exposition trop en avance. Je conçois un vernissage comme un concert ou une pièce de théâtre où des acteurs ou musiciens sont en direct face à leur audience. Si on élabore une réflexion intellectuelle un mois à l’avance, elle arrive forcément au public un mois en retard. Ce serait comme attendre pendant tout ce temps la réponse à une question, cela me rendrait fou. Tout ce qui se passe pendant les semaines qui précèdent le vernissage, qu’il s’agisse de choses personnelles ou de l’actualité, peut éventuellement se retrouver dans l’exposition. Je pense que mes meilleures pièces proviennent de performances en direct, lorsque je peins en fonction de la musique, du public, de l’ambiance… Une partie de cette exposition a donc été réalisée chez moi juste avant mon arrivée à Paris. J’ai réalisé l’autre partie directement dans la galerie. Et même après le vernissage, je continue d’apporter des petites touches à certaines toiles. Quand je te dis qu’il est difficile de savoir s’arrêter…

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Textes et photographies de Nicolas Gzeley