Underground Doesn’t Exist Anymore

Le 21 novembre dernier, un ovni débarquait dans les rayons « Arts Urbains » de nos librairies. À mille lieues des petits manuels de street art ou des éternelles compilations d’images volées à la rue et publiées par des éditeurs frileux et ignorants, Underground Doesn’t Exist Anymore se présente avant tout comme un livre d’art. En revenant sur leurs deux années d’interventions graphiques et conceptuelles au sein d’un centre d’art parisien, Lek, Sowat et Hugo Vitrani rendent non seulement un hommage sincère et érudit au mouvement dont ils sont issus, mais ils questionnent et répondent par les actes sur la place du graffiti dans une institution artistique.

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Depuis quelques années, Lek & Sowat réalisent des projets ambitieux et proposent différentes réflexions vis-à-vis du graffiti qu’ils pratiquent. Depuis le Mausolée, un bâtiment à l’abandon transformé en résidence artistique sauvage, jusqu’à leur résidence, officielle cette fois, à la Villa Médicis, les deux writers n’ont de cesse de représenter un mouvement collectif et esthétique basé sur l’acte et don l’adn est intrinsèquement lié à l’espace dans lequel il est pratiqué. En 2012, leur rencontre avec Hugo Vitrani, journaliste et curateur de la programmation d’art urbain au Palais de Tokyo, marque le début d’un projet totalement inédit. Une aventure racontée en détail au fil des chapitres de l’ouvrage Underground Doesn’t Exist Anymore dont voici un aperçu.

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For One Night Only
Par une nuit d’hiver à la fin de l’année 2012, quelques centaines d’affiches intrigantes sont collées dans Paris, plus particulièrement dans les endroits historiques du graffiti : du quartier de la Chapelle à Beaubourg, des Halles jusque sur les flancs d’une rame de métro. L’affiche annonce une exposition de graffiti au Palais de Tokyo. Pour une nuit seulement, on pourrait y voir des œuvres de Basquiat, Keith Haring, Brassaï, Banksy, Gordon Matta Clark, Taki183, Norman Mailer, Futura, Bando, Kaws et Shepard Fairey. En réalité, seule la date et le lieu sont réels. Le reste est l’œuvre de l’artiste André qui, des années après avoir recouvert Paris de tags, réalise de fausses affiches de concert aux line-ups d’anthologie.

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Le soir du vernissage, curiosité et scepticisme sont au rendez-vous. Sur place, un writer new-yorkais de passage à Paris s’époumone : « This is a fake ! This is bullshit ! Where the fuck is Basquiat ? Where the fuck is Banksy ? It’s a fake !!! » Et pour cause, il s’agit en réalité de l’ouverture du Lasco Project #1, premier volet du programme d’art urbain au Palais de Tokyo…

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Terrains Vagues
Lorsque, quelques mois plus tôt, Hugo Vitrani, Sowat et Lek sont invités à investir une issue de secours du centre d’art pour illustrer l’esthétique du graffiti, ils invitent à leur tour une dizaine de leurs amis à les rejoindre. Dem189, Rizot, Horfée, Wxyz et bien d’autres s’associent alors sur une fresque collective et évolutive où chacun déploie son style personnel, n’hésitant pas à intégrer voir à recouvrir celui de son voisin. Sous les coups de bombes et de rouleaux rouge, noir et blanc, l’escalier alors interdit au public prend des airs de terrain vague. Une fresque immersive se dessine et présente une vision kaléidoscopique d’une scène graffiti riche et plurielle. En quelques jours, le lieu change de visage et déjà, les graffitis débordent de leur cadre, colonisant les espaces à proximité.

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Lek – Dem189 – Sowat – Sambre – Wxyz – Katre – L’Outsider – Swiz – Rizot

À l’aide d’outils plus discrets, crayons, pastels ou pinceaux, de nouveaux invités succèdent aux premiers et investissent un second escalier, greffant leurs graffitis à ceux déjà présents dans un joyeux bordel organisé. Car Lek, Sowat et Hugo Vitrani sont aux manettes. Ils guident les artistes dans leurs interventions et assurent ainsi une cohérence artistique.

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Velvet & Zoer – Dem189 – Ondone – Monsieur Qui – Legz – Dran – Seth…

Au mois d’octobre 2013 s’ouvre un nouveau chapitre. Avec la complicité du président du Palais de Tokyo, Jean de Loisy, de nouveaux espaces sont à disposition. Les trois curateurs associés entreprennent alors de rendre un hommage historique et radical au writing français. Plus question de se repasser les uns sur les autres, chacun dispose désormais d’une place individuelle pour s’exprimer en tracé direct – comprenez directement en noir ou en blanc sans esquisse préalable.

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Popay – Legz – JayOne

La première génération du graffiti parisien est représentée par Mode 2 qui signe un lettrage saccadé face au personnage tout en courbes et en mouvement de JayOne ; suivi de Skki© qui inscrit l’un de ses aphorismes qu’il écrit habituellement dans les rues de Paris.

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Hoctez – Lek & Sowat

Derrière ces pionniers s’inscrit une seconde génération venue bousculer les codes esthétiques de leurs aînés : Popay et ses lettrages en volume, Hoctez et ses constructions calligraphiques, Legz et ses abstractions en spaghettis ou encore Nassyo et ses expérimentations organiques viennent illustrer ce renouveau esthétique du début des années 90. À leurs côtés, la branche hardcore du writing parisien est représentée par les tagueurs boulimiques Azyle et O’Clock ainsi que Babs et Cokney qui ont fait du réseau ferré leur terrain d’expression.

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Azyle

Enfin, dernière génération à s’inscrire sur les murs du centre d’art : Bom.K et sa technique chirurgicale, Dran et ses univers introspectifs ou encore Roti et ses dessins empreints de tatouage et d’architecture gothique. Une fois n’est pas coutume, de nombreux amis de passage comme Alëxone, Kan, Blo, Sebastien Preschoux, Ether & Utah et bien d’autres ont profité de l’occasion pour laisser leur marque dans ces espaces périphériques du musée.

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Dran

Vandalisme Invisible
L’aventure aurait pu s’arrêter là mais c’était compter sans la volonté de Sowat, Hugo Vitrani et Lek de réaliser un projet inédit et ambitieux. Ne pouvant se contenter d’un seul espace du Palais de Tokyo, ils ont projeté d’envahir l’ensemble du centre d’art. Usant de leurs interventions officielles comme d’un Cheval de Troie, ils ont profité de leurs passages dans l’institution pour en explorer chaque recoin, poussant chaque porte, visitant chaque pièce. Dans le dos du personnel, à l’insu de la sécurité, ils se sont déployés dans le bâtiment à travers une multitude d’interventions cachées ou éphémères.

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Evol

Illustrant ainsi le caractère évanescent du graffiti et sa capacité à s’infiltrer partout, les trois compères et chacun de leurs invités ont, en toute discrétion, colonisé le centre d’art. Installations en bois ou en film plastique le temps d’une photo, graffitis cachés sous un miroir, derrière un vestiaire, dans une trappe technique, tracés à l’eau, dans la poussière… Le cœur du projet réside dans ces innombrables œuvres furtives à mi-chemin entre art conceptuel et blagues potaches.

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Popay

Soigneusement archivées, ces actions fantomatiques sont dévoilées à la fois dans l’ouvrage ainsi que dans un film en stop-motion réalisé par Sowat.

Tracés Directs
Autre chapitre du livre, autre film dévoilé quelques mois plus tôt, Tracés Directs montre l’intervention successive et clandestine d’une vingtaine d’artistes sur un tableau noir utilisé par les médiateurs du Palais de Tokyo. Chacun à leur tour, Philippe Baudelocque, Seb174, Tcheko, l’Outsider, Apôtre, Swiz, Sambre et bien d’autres jouent à la craie et à l’éponge avec la notion d’inscription, de spontanéité, d’effacement et de renouvellement sur la surface noire. Dernier artiste à intervenir sur le tableau : Jacques Villeglé, parrain de l’art urbain en France, y trace son abécédaire sociopolitique qui restera en l’état au sein du musée jusqu’à ce que le tableau et le film qui raconte son histoire intègrent la collection permanente du Centre Georges Pompidou.

La Trappe
Lors de l’exploration du centre d’art, Lek et Sowat ont rapidement découvert ce qui deviendra l’épilogue de leur projet. Dans un local technique, une trappe au sol les mènent dans un vaste dédale de béton brut. Un espace destiné au désenfumage du bâtiment dans lequel les artistes vont pouvoir se déployer secrètement. Alors qu’ils interviennent discrètement à divers endroits du Palais à travers des interventions éphémères, ces tunnels qui courent sous le musée vont leur permettre d’illustrer l’aspect inaccessible et permanent du graffiti.

Un espace à l’abri du nettoyage et du recouvrement à l’image des catacombes de Paris qui renferment en elles des graffitis d’un autre temps.

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Lek & Sowat

Après y avoir peint plusieurs pièces du sol au plafond, ils invitent Mode 2, figure majeure du graffiti européen, à intervenir à son tour dans le sous-sol. S’il est largement reconnu pour ses personnages aux postures dégingandées, Mode 2 n’en reste pas moins un lettreur hors pair.
Ses lettres construites comme des personnages dansants courent alors d’un mur à l’autre et épellent la phrase « Underground Doesn’t Exist Anymore ». Un slogan en écho à notre époque marquée par une communication outrancière que l’artiste trace au pastel ocre et au pinceau blanc.

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Mode 2 – Lek

Quelques semaines plus tard, c’est au tour d’une autre figure historique d’inscrire sa peinture dans la grotte de béton. Futura, qui développa quarante ans plus tôt un style abstrait et personnel sur les métros new-yorkais, a ensuite exporté sa signature graphique dans les galeries d’art à travers le monde. C’est cette signature emblématique composée de lignes nerveuses mêlées à des zones vaporeuses qu’il est venu offrir au projet.

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Futura – Lek & Sowat

En se réunissant secrètement sous le Palais de Tokyo, ces trois générations de writers closent ainsi deux ans d’infiltrations artistiques au cœur de l’institution. Deux ans d’expérimentations graphiques et de performances conceptuelles racontées en trois films et un ouvrage désormais accessibles à tous.

Underground Doesn’t Exist Anymore
ISBN: 978-2-91-917217-81-8
340 pages – Format 17 x 24 cm
Éditions Manuella
30€
Actuellement en librairies

Palais Magazine
Parallèlement à la sortie de l’ouvrage Underground Doesn’t Exist Anymore, le magazine du Palais de Tokyo publie un numéro entièrement consacré au Lasco Project. En plus de revenir sur le projet mené par Lek & Sowat, le magazine invite les différents artistes ayant participé au projet d’art urbain du Palais de Tokyo à dialoguer avec des acteurs de l’art contemporain. À travers les interviews de Azyle, Dran, Os Gemeos, Cleon Peterson, Craig Costello, Evol et bien d’autres, ce magazine met en perspective le projet de Lek & Sowat avec la vision pointue de l’art urbain actuel défendue par Hugo Vitrani.

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Magazine Palais #24
ISBN: 978-2-84711-071-5
216 pages – Format 22,5 x 28,5 cm
15€
Actuellement en librairies

Texte et photographies de Nicolas Gzeley