En résidence artistique à Jardin Rouge depuis juin 2014, Hendrik « ECB » Beikirch ponctuait le mois dernier son projet « Tracing Morocco » d’une exposition dans l’ancien ryad marocain transformé en atelier d’artiste et espace d’art. Une invitation à découvrir le Maroc. Celui d’hier et d’aujourd’hui, à travers une série de portraits de femmes et d’hommes dont les vécus reflètent ce pays à la fois moderne et ancestral.
Depuis ses premiers coups de bombe en Allemagne de l’Ouest à la fin des années 90, l’art d’Hendrik « ECB » Beikirch a toujours évolué hors des sentiers battus. Des formes géométriques abstraites, des paysages urbains, des portraits en noir et blanc… ECB a, au fil des années, développé un style personnel et graphique, d’abord épuré puis de plus en plus riche et détaillé. Longtemps associé aux writers Reso et Dare, il a durant les années 90 instauré un dialogue esthétique entre lettrages, graphisme et personnages. Un dialogue analysé et illustré dans l’ouvrage « Straight Lines » publié en 2004 chez Publikat qui retrace dix ans de travail collaboratif en Suisse et en Allemagne.
Parallèlement, alors qu’il commence à peindre en atelier, ECB explore de nouvelles pistes. Il se concentre désormais sur des paysages urbains composés de ponts, de voies ferrées et de structures métalliques. Ces natures mortes empruntes d’une mélancolie inhérente à l’artiste font écho à l’environnement dans lequel il a grandit. Kassel, sa ville natale fut entièrement reconstruite après les bombardements de 1943.
Dès lors, la question de l’homme face à la ville sera le fil conducteur de sa peinture.
L’homme égaré dans une ville déshumanisée, la mélancolie, la tristesse mais aussi la liberté. Des notions qu’Hendrik Beikirch continue de traiter lorsqu’il se tourne vers un travail plus intime basé sur le portrait. Ceux d’anonymes croisés au détour de ses nombreux voyages, des visages marqués par le temps dont chaque ridule raconte une histoire. En grand format, sur les façades des pays qu’il visite, Hendrik couche ainsi en niveaux de gris ces faciès dont la richesse et le vécu qui s’en dégagent s’opposent aux images lisses et fades imposées par la publicité. Par petites touches, à la bombe, au rouleau puis pulvérisant de l’eau sur la peinture encore fraîche afin d’apporter de fines coulures, il affine une technique personnelle qui rendent ses fresques à la fois réalistes et identifiables.
En 2014, lors de son premier voyage au Maroc, l’artiste est frappé par le décalage entre la modernité qui gagne ce pays et les savoirs ancestraux qu’il renferme. Là encore, le rapport entre l’homme et la ville est au coeur de sa démarche. Il amorce alors sa série « Tracing Morocco » dans laquelle il cherche à rendre hommage au travail des villes et des champs marocains qui disparaissent peu à peu. Bergers, camionneurs au volant de machines surchargées, bouchers, zelligeurs ou simples maçons habitués à un outillage rudimentaire… Hendrik prend le temps de les rencontrer, s’imprègne de leur personnalité, les photographie et, sans effusion déplacée ni empathie débordante, il couche sur le mur ou la toile ces visages tout en nuances à partir de lignes fines et légères.
Depuis deux ans en résidence à Jardin Rouge, il a immortalisé sur toile Smiaa la cuisinière, Fadma la tatoueuse au henné, Mohamed le fermier, Mounir le pêcheur, Abderrahim le tisserand… Des rencontres inoubliables, souvent photographiées, jamais honorées, jusqu’à ce qu’Hendrik ne les reproduise sur les murs gigantesques des grandes villes du monde. Ainsi exposée aux yeux de tous, il transforme l’image de ces anonymes en un éloge à l’humain, les rend universels tout en conservant la part intime qui se dégage de chacun d’entre eux.
Un projet humaniste, sincère et touchant, à l’instar de cet artiste discret qui s’efface volontiers au profit des sujets qu’il aborde.
Pour l’occasion, la fondation Montresso, qui dirige la résidence Jardin Rouge a édité un livre de 176 pages retraçant en détail le projet « Tracing Morocco ». À découvrir dans les meilleures librairies à partir de ce mois.
Texte : Nicolas Gzeley
Photographies : Hendrik Beikirch, Robert Winter, Nicolas Gzeley