Depuis quelques jours, le mur du Pavillon Carré de Baudouin situé en haut de la rue de Ménilmontant se pare d’une nouvelle armure. Sur un aplat chromé transpercé de fumées rouges et noires, Lokiss trace sous l’oeil curieux et circonspect des passants des lignes géométriques, abstraites au premier abord.
À travers le brouhaha de la circulation, une voix aigüe s’élève avant de disparaître : « C’est moche ! C’est affreux !! C’est horrible !!! » Lokiss sourit. Elle n’a pas tort la p’tite dame… La violence, la mort, la guerre, voilà ce que Lokiss est venu peindre.
Un hommage aux victimes du 13 novembre 2015.
Pionnier du graffiti hexagonal aux côtés des CTK, BBC et autres TCG – notamment sur les murs du mythique terrain vague de La Chapelle – Lokiss défend depuis trente ans une vision personnelle et radicale d’un mouvement aux multiples facettes. Inspiré par la branche futuriste du writing initiée par Rammellzee, Phase 2 et Futura, il n’a de cesse d’appréhender différentes techniques, cherchant toujours à se renouveler. De la peinture à la sculpture en passant par la photographie, la musique et le multimédia, il explore, expérimente, défriche, porté par une énergie et une créativité intarissable.
Un mois après le début de son exposition « Topologies » à la galerie Celal, Lokiss est de retour à Paris. Cette fois, c’est pour s’attaquer aux 100m² du mur du Pavillon Carré de Baudouin mis à sa disposition par l’association Art Azoï. Si l’exposition présentait principalement des sculptures en métal – fruit de deux ans de travail d’atelier – ici, l’artiste retrouve ses amours de jeunesse : le mur et la peinture. Trente ans après ses premiers coups de bombes, force est de constater que Lokiss n’a rien perdu de sa radicalité.
« Ma première intention était de faire un mur proche de mes sculptures. Garder cet aspect froid et métallique pour y dessiner mes personnages, juste au trait, comme plusieurs esquisses superposées les unes aux autres. Je mets en avant les dynamiques et la pureté de la ligne à la manière du wildstyle. Ces visages torturés, déformés par la souffrance, renvoient aux murs que je peignais dans les années 80. J’ai gardé ce côté géométrique, presque vectoriel qui me vient du lettrage, plus précisément du writer Rammellzee dont le travail s’est peu à peu éloigné des codes classiques du graffiti pour aller vers quelque chose de plus abstrait et agressif. Ici, je veux imposer le côté radical et intransigeant du graffiti en réaction à ce street-art gentil, décoratif et aseptisé. Les gens s’habituent à toutes ces peintures fun et colorées que l’on leur impose ici et là. Il est temps de peindre des images fortes dans la rue. »
Dix jours plus tard, la fresque est terminée. Visible jusqu’au mois de septembre prochain, elle impose au passant quelque peu attentif de s’attarder un moment s’il veut y voir autre chose qu’un amas de lignes abstraites. Les visages apparaissent en surimpression. Ils expriment une violence, une souffrance dont on détournerait volontiers le regard. Si les évènements du mois de novembre dernier auxquels l’artiste fait référence ne sont évoqués que discrètement, le sentiment de malaise en revanche saute aux yeux. Lokiss a choisi d’exprimer haut et fort les stigmates que nous portons en chacun de nous, hurlant sa douleur à grands coups de bombes de peinture. Un geste sincère qui rappelle que la peinture urbaine, quel que soit son nom, n’est pas seulement affaire de décoration ou de divertissement. Il y est aussi question d’expression, de sentiments et d’engagement. Dont acte.
Texte et photographies de Nicolas Gzeley