Arrivés au terme de leur résidence artistique à la Villa Médicis, Lek & Sowat y présentent actuellement leur installation « Macchia Aperta ». Réalisée dans le cadre du septième Théâtre des Expositions de l’académie de France à Rome, cette intervention est le fruit d’une année de travail d’atelier entrecoupée de divers voyages à travers le monde. Elle marque l’aboutissement d’une épopée romaine à mi-chemin entre travaux in situ, sculpture et peinture sur toile.
Il y a presque un an, Lek & Sowat débarquaient à Rome, accueillis par la prestigieuse institution française. Aux côtés d’une dizaine d’artistes aux horizons variés – musiciens, performers, vidéastes, écrivains, designers – ils allaient bénéficier d’un cadre unique, propice à la création et à l’expérimentation. Fidèles à leur background d’explorateurs urbains, leur intention première fut de fouiller les entrailles de la ville pour y intervenir secrètement. Un réflexe attendu et certainement trop décalé face à l’opportunité de cette résidence.
« Lorsque nous sommes arrivés à Rome, notre première réaction fût de visiter la ville à la recherche de lieux cachés ou abandonnés comme nous le faisons régulièrement à Paris. Nous nous sommes rapidement rendu compte que nous risquions alors de passer à côté de notre résidence artistique en répétant ce que nous avions déjà fait ailleurs. Nous avons alors fait le choix d’observer ce que cette ville avait à nous offrir pour retranscrire nos ressentis par la peinture sur toile. »
Dans cet espace clos aux allures de prison dorée qu’est la Villa Médicis, Lek & Sowat bénéficient d’un vaste atelier de 80m², celui qu’occupa Jean-Auguste Dominique Ingres trois siècles avant eux. Dans cette atmosphère chargée d’histoire, les deux artistes décident de se concentrer sur la toile pour y projeter ce qu’ils ont accumulé durant leurs années de graffiti et y confronter ce que la capitale italienne veut bien leur offrir : un subtil mélange de matières issu des églises antiques et des ruelles insalubres.
« Au-delà de l’art qui surgit à chaque coin de rue, nous avons retenu de nos maraudes quotidiennes des matières abstraites, organiques et minérales. Ces infiltrations d’eau mêlée à la crasse qui coule le long des façades ont largement influencé notre façon de peindre. Il y a comme une chimie qui s’opère, un processus auquel nous faisions référence quelques mois plus tôt lorsque nous avons travaillé avec des produits photosensibles dans le cadre de l’exposition « Teamwork makes the Dream Work » à la galerie Polka. Ces références à l’effacement, entre maîtrise et accident, nous les avons également expérimentées dans les différentes interventions que nous avons réalisées cette année hors de l’institution. De retour dans notre atelier, nous avons cherché à pousser encore plus loin ce processus. »
« Ce qui a surtout marqué nos esprits à Rome, ce sont les marbres que nous avons découverts à divers endroits de la ville, notamment à la galerie Borghèse et à l’église St Louis des Français. Nous avons observé les différents types de marbres, leur représentation par la peinture et cette façon de les découper pour les présenter en miroir comme une sorte de test de Rorschach, le Macchia Aperta. »
Avec l’image de ces marbres antiques en tête, Lek et Sowat ont développé une peinture abstraite, abandonnant progressivement la lettre et le signe pour se concentrer sur des textures issues d’expérimentations basées sur la détérioration de la peinture.
Parallèlement, ils ont conçu à partir de matériaux de récupération des structures métalliques auxquelles ils ont intégré divers fragments de murs marqués de leurs signes respectifs. Ils soulignent ainsi le lien entre leur pratique urbaine et leur peinture d’atelier, confrontant le bâti à la peinture dans un large couloir, ancien escalier à chevaux devenu espace d’exposition.
« Parmi les différents lieux d’exposition proposés par la Villa Médicis, nous avons choisi cet escalier pour différentes raisons. D’abord parce qu’il symbolise l’élévation, l’évolution que nous cherchons à chaque projet. Ensuite parce qu’il nous invite à travailler en miroir de chaque côté des marches, en référence au « Macchia Aperta » et enfin parce que l’artiste Sol LeWitt, que nous admirons tous les deux, a peint ces murs il y a une quinzaine d’années.
Ici, plus qu’un résultat, nous cherchons à montrer un processus, une étape. Nos toiles ainsi pliées révèlent la technique utilisée. Elles représentent la détérioration de la peinture et font face aux formes géométriques qui symbolisent la reconstruction d’un mur dessiné par son squelette. Ces éléments proviennent d’un mur en BA13 que nous avons peint puis découpé avant d’en récupérer la structure métallique. Avec d’un côté la destruction, de l’autre la reconstruction, nous cherchons à souligner le cœur de notre pratique qui consiste à créer à partir de ruines. »
Recycler le passé en proposant quelque chose de moderne, un thème familier à la Villa Médicis qui formait jadis d’illustres artistes venus copier les maîtres classiques et qui accueille aujourd’hui de jeunes artistes contemporains prompts à la recherche et à l’expérimentation. Durant une année, Lek & Sowat ont alterné les interventions dans la Villa – prolongeant l’architecture en parcours tissés de film plastique ou projetant leurs toiles sur la façade antique – et hors de la Villa, avec des interventions à Hong Kong, Delhi, Paris et Gagliano. Loin de faire le bilan de leur résidence artistique, cette installation pour le Théâtre des Expositions est une étape de plus dans un parcours à cheval entre marginalité et institutionnalisation. Le prochain rendez-vous avec Lek & Sowat est fixé à l’automne prochain, séparément cette fois, puisqu’ils présenteront chacun un solo show dans leur galerie respective – la galerie 42b pour Lek et la galerie Le Feuvre pour Sowat. Deux expositions constituées de toiles réalisées à la Villa Médicis, histoire de prolonger encore un peu l’aventure romaine.
Textes et photographies de Nicolas Gzeley